Arrivés dans les mornes, la pluie nous a retenu plusieurs jours à Gauthier, nous obligeant à annuler notre traversée vers Sixième..
Depuis le début du voyage, Pauline ne voulait pas toucher aux pinceaux. Mais ce moment sous la pluie a ouvert un espace de rencontre très sensible avec les "zabitans", les paysans de la zone.
Une fois le premier dessin réalisé, les autres se sont enchainés, jusqu'à utiliser la dernière feuille du carnet d'aquarelle. Dix à quinze minutes pour chacun, près de quarante dessins en deux trois jours...
Une petite parenthèse et l'occasion d'un dialogue riche et muet avec ces enfants, ces hommes et ces femmes qui tiennent tant à leur dignité.
Pour chacun et chacune, le moment était d'importance. D'où les visages graves, concentrés, d'une grande intensité. chacun attendait son tour : oublier quelqu'un aurait été vécu presque comme un affront.
La maison où nous logeons est au bord du chemin. On voit les femmes descendre le matin et remonter le soir du marché, en file indienne ; les hommes revenir des champs avec leur sac et leur machette ; des personnes souvent assez agées et une foule d'enfants.
Ce sont surtout les jeunes adultes qui partent vers la ville, laissant leurs parents et leurs enfants dans les champs, avec souvent si peu pour vivre .
Ce monde rural d'une grande richesse humaine est comme oublié, laissé de côté.
Qui entend parler en France de ce "pays en dehors" (de Port au Prince) qui fait pourtant la force et la beauté de cette île sous le vent, de ces paysans qui sont les véritables vainqueurs de l'Indépendance et du rejet du système colonial imposé pendant tant d'années par cette même France?
La vie ici est rude et nombreux ne mangent pas chaque jour. Tant d'enfants n'ont pas le moindre accès à l'école et la maladie emporte trop vite tout ceux qui n'ont pas les moyens de se rendre en ville à la recherche d'un docteur.
Et pourtant... Le cadre est tellement majestueux... Autre chose que les bidonvilles de Port-au-Prince qui absorbent pourtant en si grand nombre ces paysans attirés par le rêve de la ville et de l'ailleurs...
Cependant certains réussisent : notre hôtesse s'est battue malgré la mort de son mari pour élever ses neuf enfants, qui ont presque tous fait des études supérieures et sont aujourd'hui agronomes, avocats, comptables, sociologues...
Pour tant d'autres, les choses ne sont pas si simples... Les préjugés sont sévères à l'égard de ces paysans. L'ancien président Aristide, "titide" a cherché à son époque à redonner leur dignité à tous ces en-dehors avant de tomber dans les travers du pouvoir et de la corruption ...
"Tout moun se moun" : chaque personne est une personne, tout un programme... Malgré les années, les déceptions et les revirements, "Titide" parvient encore souvent à enflamer le coeur des paysans qui conservent à son égard un respect passionné.
La vie des femmes dans les mornes est particulièrement difficile ; les hommes naviguent bien souvent entre plusieurs foyers, laissant les nombreux enfants sous la responsabilité des mères et bien souvent des grands-mères.
Lorsque s'engage la discussion, le ton de ces femmes devient vite très dur pour parler de ces "vagabonds", de ces "épaves", de tous ceux-là qui sèment des enfants sans prendre leur responsabilité...
Les enfants en subissent les conséquences, d'autant plus qu'un vieux résidu du droit napoléonien discrimine toujours les enfants adultérins qui ne peuvent établir leur filiation paternelle ...
Toute cette jeunesse, laissée de côté, qui pourrait porter un bel espoir...
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